Rémi Mogenet : Tintin et le retour des ancêtres

Je suis allé voir le Tintin de Spielberg et j'ai trouvé jolies les couleurs, impressionnants les décors: on se serait cru dans un Disneyland renforcé. Le trésor brillait d'un feu presque magique, rayonnant. En dehors de cela, néanmoins, j'ai un peu de mal à conserver en mémoire des éléments marquants. Je n'ai pas été choqué, comme certains critiques ont dit l'avoir été, par le combat de grues à la fin: cela m'a paru plutôt amusant. J'ai été davantage rebuté par le célèbre épisode des pirates de l'époque de Louis XIV, dont le capitaine Haddock a comme la vision, en plein désert: je le trouvais bien plus intense, prenant, dans les albums d'Hergé; Spielberg l'a rendu plus extraordinaire, mais l'émotion vraie s'en est allée, à mon avis.
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Ce qui m'a particulièrement ennuyé est l'idée que non seulement le capitaine Haddock est le descendant du chevalier de Hadoque, mais que le méchant descend, lui, de Rackham Le Rouge: on laisse entendre que les deux personnages contemporains réincarnent leurs propres ancêtres.
Mais l'idée de réincarnation, telle qu'elle est présente en Orient, n'est pas, à ma connaissance, liée à l'hérédité. Je ne crois pas qu'au Tibet on cherche la réincarnation d'un homme au sein de sa descendance! tintin-milou-toile-sur.jpgCette préoccupation du lien génétique est typiquement occidentale, à mon avis. Mais alors, on ne dit pas que les mêmes reviennent trois siècles plus tard: on dit simplement qu'on défend l'honneur de la famille. Dans le Midi, le système des vengeances pesant sur les lignées soumet volontiers l'individu, qui ne revient pas à travers un descendant particulier, mais dont l'esprit survit à travers le souvenir qu'il laisse au sein de la famille.


Il y a là un sentiment d'appartenance au groupe qui me semble exhaler quelque chose d'égyptien, à vrai dire; c'était présent aussi dans l'ancienne Rome. Lorsque je suis allé en Corse, j'ai été frappé par un fait à mon sens remarquable: dans les cimetières, seulement des caveaux de famille: pas de tombe individuelle.


Dans le Nord antique, Régis Boyer l'a montré, on glorifiait au contraire le destin de l'individu. Mais peu importe. Je trouve seulement que ce mélange entre l'idée d'appartenance à la lignée et celle d'un retour des individus d'une époque à l'autre est mal venue, ne fonctionne pas. On dirait qu'on a voulu donner une image noble et belle du culte des ancêtres à travers un concept oriental qui pourtant la contredit, puisqu'il dissout le lien héréditaire dans le pur néant. Mais dans ce néant, on a justement voulu conserver le lien génétique comme s'il était sacré. Bizarre.


Hergé, quoi qu'il en soit, était simplement catholique; il voulait qu'on respecte ses ancêtres sans pour autant chercher à les venger: c'était la morale européenne habituelle, bourgeoise, chrétienne - et molle, si on veut. Ce que Spielberg a conçu me paraît excessif du point de vue d'Hergé et mal fondé en soi. Avec l'aimable de l'auteur Savoyard M. Rémi Mogenet